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TECHNIQUE ET PROGRES : INTERNET, UNE NOUVELLE UTOPIE DE LA COMMUNICATION ?

page créée le 13/05/2004

 

 

Résumé : je réfléchirai ici à la question de savoir si internet peut être considéré comme un progrès dans la communication, à travers la lecture de deux auteurs contemporains :

P. Lévy, Qu’est-ce que le virtuel ? (1998) ; Cyberculture (1997) ; Worlphilosophie, le marché, le cyberespace, la conscience

Wolton, Internet, et après ?, Une théorie critique des nouveaux médias, Champs Flammarion (2000)

 

liens associés

- corrigé de dissertation sur le mythe d'une langue universelle

- cours autrui

- cours sur le langage

 


INTRODUCTION


(Suite du cours sur la technique et la nature). On vient de voir que la technique n’est ni mauvaise en soi, ni bonne en soi. Il conviendrait de se le rappeler, à l’heure où les nouvelles technologies de l’information et de la communication (Internet, le téléphone portable) sont tant louées. Nous allons nous interroger ici sur Internet, qui est le symbole des nouveaux médias. Rappelons brièvement ce qu’est Internet : il s’agit du réseau constitué par les différents réseaux interconnectés dans le monde. C'est le précurseur des autoroutes de l’information.

Deux conceptions à son sujet s’affrontent :

- Internet, c’est la fin de la communication, c’est la porte ouverte à tous les vices (cf. affaire pédophilie, nazisme, etc.), etc. Bref : « Internet, c’est pas bien ».

- Internet, c’est la communication et l’information maximum, qui aboutira, à terme, à une unification et un rapprochement de l’humanité. Bref : « Internet, c’est bien ».

Il faut bien reconnaître que c’est cette seconde thèse qui prédomine. Si Internet fait peur à certains, il est en général plutôt auréolé de toutes les vertus.

Afin de voir si Internet est ou non un progrès, et en quoi, il nous faudra donc analyser ces deux conceptions. J’analyserai principalement les arguments de deux auteurs, P. Lévy, pour lequel Internet est une véritable révolution et l’avènement d’une nouvelle société, donc, un progrès vers une société meilleure, et D. Wolton, pour lequel il faut au contraire se méfier de ce qui n’est en fait qu’une nouvelle utopie. Bien sûr, nous essaierons de voir si on peut ou non soutenir une position médiane.


I- LA THESE DE P. LEVY : LE CYBERESPACE OU LE VILLAGE GLOBAL

Il s’agit de savoir pourquoi on les loue. Pour ce faire, nous allons analyser la thèse de P. Lévy.

P. Lévy soutient que la multiplication des liens libres entre les individus via le web poserait les bases d’un mouvement irréversible d’unification intellectuelle, culturelle et spirituelle de l’humanité, débouchant sur l’avènement d’une société transnationale dotée d’un gouvernement mondial démocratique. Et de même que sur le plan physiologique, notre cerveau s’élargit, de la multiplication des liens entre les neurones, les connexions entre les hommes produites par le web, et leur complexité croissante, feraient surgir, par delà les frontières naturelles et culturelles de jadis, une « intelligence collective », et une conscience supérieure de l’unité humaine.

Le web donnerait la possibilité de fonder un nouveau monde centralisé, « en réseau », capable à terme de s’autodéterminer par le moyen d’une démocratie directe informatisée.

Nul doute que la communication avec les autres est difficile. Nous l’expérimentons tous les jours. Nous ne nous comprenons pas ! Ici, si nous louons Internet, c’est parce qu’il nous permettrait alors de communiquer plus facilement. Gage d’une meilleure compréhension entre les hommes, qu’ils soient de même culture mais de classe différente (cf. les clochards se connectant à Internet aux Etats-Unis), de culture différente, etc. Plus de barrières entre les hommes ! Cf. l’expression célèbre et couramment employée de « village global ».


Dans la philosophie new age, le réseau Internet est un « système nerveux planétaire ».


II- INTERNET, UNE NOUVELLE UTOPIE

A- Internet : quelle communication ? (Wolton)

Wolton, dans son ouvrage intitulé Internet et après ?, Une théorie critique des nouveaux médias, apporte des arguments très intéressants pour contrer la thèse selon laquelle Internet serait gage de progrès pour l’humanité, et pourrait créer une nouvelle société. Nous allons les exposer.

Nous croyons que le progrès technique suffit à améliorer la compréhension entre les hommes. La communication technique est de plus en plus efficace, donc, on en déduit que la société de demain sera « une société de la communication ». Mais est-ce que la communication technique est la même chose que la communication humaine ? Ou encore, est-ce que la communication technique détermine la communication humaine ?

 

1) La statut de la communication dans la civilisation occidentale

 

Qu’Internet nous fasse croire que l’on va vers une nouvelle forme de la société, et vers une société meilleure, c’est tout à fait normal.

a) La communication, idéal des démocraties de masse

En effet, la notion de communication est inséparable des valeurs qui fondent la démocratie de masse :

- au 16e liée à l’émancipation de l’individu (liberté de penser, de conscience, d’expression)
- 17e-18e : liberté de la presse et des librairies
- 19e : liberté d’association, de manifestation et de participation politique
- 20e : suffrage universel et information pour tous

A ce titre, elle est non seulement inséparable de la démocratie de masse, mais elle en est même la condition. « Pas de société ouverte ni démocratique, sans liberté d’information et de communication » . Pas de démocratie de masse, sans communication publique à grande échelle. Car qui dit communication publique/ politique, dit espace public.

La communication est donc profondément liée, dans nos esprits, à l’émancipation de l’homme. Elle est une de nos valeurs essentielles, au même titre que la liberté, l’égalité, la fraternité.


b) La communication de masse soupçonnée

Mais le statut de la communication dans la civilisation occidentale est, nous rappelle Wolton, paradoxal : en effet, si elle est une valeur fondatrice et essentielle pour la démocratie, elle est en même temps fortement soupçonnée : elle serait, à grande échelle, manipulatrice. Nous serions, face à la radio, à la télévision, au discours de l’homme politique, passifs, et donc, manipulés.

C’est la seconde raison pour laquelle les nouveaux médias sont tant loués : on leur donne les vertus que n’ont pas les grands médias publics. Ils ne manipulent pas. Nous ne sommes pas passifs. Au contraire, ils nous laissent libres et créatifs… Cf. leur caractère individuel, et ludique.

Communication à grande échelle = plus performante que la communication humaine et dénuée des défauts des médias de masse.

Pourtant, selon D. Wolton, on a tort de voir dans les techniques sans cesse plus performantes la condition du rapprochement entre les hommes, et l’avènement d’une nouvelle société. Cf. Avant-propos, p. III : « l’abondance d’informations et d’interactions ne suffit pas à créer de la communication » ; « l’égalité d’accès aux banques de données ne suffit pas à créer une égalité d’accès à la connaissance, ni une égalité de compétences ».

Pourquoi ?

D’abord, parce que Internet suppose en fait une énorme infrastructure pour permettre ces interconnexions. Nous ne sommes donc pas si libres et initiateurs que nous le croyons.

Mais surtout, parce que la communication technique n’est pas la même chose que la communication humaine. Et parce qu’elle ne peut déterminer celle-ci.

2) Communication technique et communication humaine

Lévy suppose une fausse conception de la communication (« L’essentiel, dans un système de communication, n’est pas la technique »).

D. Wolton, Internet et après ?, op. cit., p. 43

Par exemple, quand on affirme que la généralisation des réseaux d’ordinateurs et de satellites permettra une meilleure compréhension au sein de la communauté internationale, on confond, volontairement ou non, communication normative et communication fonctionnelle. On réduit ainsi la capacité de compréhension entre des peuples, des cultures, des régimes politiques que tout sépare par ailleurs, au volume et au rythme d’échanges entre les collectivités permis par les réseaux. Comme si la compréhension entre les cultures, les systèmes symboliques et politiques, les religions, et les traditions philosophiques, dépendait de la vitesse de circulation des informations ! … Comme si échanger plus vite des mesures signifiait mieux se comprendre. (…) Cela peut même provoquer, comme je l’ai souvent expliqué, l’effet contraire : l’accélération de la circulation des messages, des images, des informations rend plus visibles qu’autrefois les différences entre cultures et systèmes de valeurs. Et peut créer autant un effet de repoussoir que l’inverse.


l’argument de la meilleure compréhension entre les hommes, et ce, à l’échelle mondiale, ne tient pas, pour les mêmes raisons que j’avance à propos de la langue universelle dans mon corrigé : « La langue universelle existe-t-elle ? ». C’est que, en effet, une transmission rapide et étendue dans l’espace et dans le temps, ne favorise pas à elle seule une compréhension entre hommes, donc, la communication technique ne permet pas à elle seule la communication humaine, parce qu’elle ne peut rompre les barrières de la culture et des valeurs. Pour que la communication réussisse, il faut une communauté de valeurs. A moins alors de croire que l’individu n’est qu’un individu marchand, consommateur, et non pas une personne. Ou de croire, donc, que la société marchande est la société tout court…

« Si le téléphone, la radio, la télévision, l’ordinateur, sont identiques d’un bout à l’autre de la planète, les codes, les styles, les modes de communication sont différents . Il y a des techniques de communication mondiales, il n’y a pas de communication mondiale » .

Il est déjà difficile de communiquer avec des individus de même culture que nous, mais il l’est encore plus de communiquer avec des individus de culture différente (cf. cours autrui). Ce n’est parce que la transmission et la réception des informations est rapide sur le net, voire instantanée, que nous allons mieux réussir la communication. Peut-être qu’au niveau technique, elle va réussir, mais au niveau humain ? C’est une illusion de croire à cette instantanéité de la communication humaine, qui serait comme par magie obtenue par la technique.

On ira même jusqu’à dire qu’il n’est pas souhaitable qu’il y ait un seul modèle culturel, que l’humanité soit une. Pourquoi rejeter nos différences ? Et ensuite, on sait que cela reviendrait toujours à imposer un modèle culturel (celui, on s’en doute des Etats-Unis), comme une seule langue reviendrait finalement à imposer une langue parmi d’autres.

 

B- Le postulat du déterminisme technologique est à la base de l’hypothèse du cyberespace ou de la « société informationnelle »

Internet peut-il changer la manière dont les hommes communiquent entre eux, comme le suppose P. Lévy quand il parle d’un cyberespace ? Pour que l’on puisse affirmer cette thèse, il faut qu’il existe un déterminisme strict (et marxiste !) de la société. Plus précisément, un déterminisme strict de la technologie. Chaque innovation technologique serait tellement révolutionnaire, qu’elle déterminerait des changements radicaux dans la structure de la société.

Cf. Marx

Cf. Mumford : découverte de l’énergie = ère industrielle (la technique fait la société) ; donc : découverte d’Internet = ère informationnelle ?

Comme le montre Wolton, jamais une technologie n’a donné, à elle seule, les clés d’un nouveau monde.

Prenons le cas de l’imprimerie. A-t-elle en soi, ou à elle seule, bouleversé l’Europe ? A-t-elle produit la révolution sociale et culturelle de la Renaissance ? Le lien entre l’innovation technologique et la nouvelle société est en fait beaucoup plus complexe qu’un simple lien de cause à effet. En fait, si elle a joué un rôle essentiel dans le changement de société, c’est parce qu’elle a symbolisé « une rupture radicale existant simultanément dans l’ordre culturel de la société » . « Ce n’est pas l’imprimerie qui, en soi, a bouleversé l’Europe, c’est le lien entre l’imprimerie et le profond mouvement de remise en cause de l’Eglise catholique. C’est la Réforme qui a donné son sens à la révolution de l’imprimerie, et non l’imprimerie qui a permis la Réforme. De même la radio, puis la télévision, n’ont eu cet impact que parce qu’elles étaient liées au profond mouvement en faveur de la démocratie de masse. ». Si l’imprimerie a eu tant d’impact dans la société c’est parce qu’elle était en phase avec le modèle culturel de communication.

Bref : l’imprimerie n’a pas produit la révolution sociale et culturelle de la Renaissance, mais elle l’a accompagnée. Il s’agit d’une influence, et d’une influence allant dans un double sens (de la société vers l’imprimerie et de l’imprimerie vers la société), et non d’une détermination causale à sens unique.

Il ne faut donc pas penser les relations entre la technique et la société comme allant de la technique vers la société, mais bien plutôt l’inverse. Conséquence : il est faux de dire, comme pourtant l’affirment tous les jours les médias et les politiques, que les nouvelles techniques de communication sont « en avance sur la société » , en sous-entendant que la société doit s’adapter à ces dernières (et finalement, s’y adaptera quoi qu’on fasse, puisqu’il y aurait un déterminisme technologique)!

Ceci, non seulement parce que la société ne suit pas la technique, et parce qu’on suppose alors que la technique est la valeur suprême et nous dit ce qu’il faut faire. Or, nous l’avons vu dans le cours nature et technique, la technique a à voir avec les moyens, jamais avec la fin, sur laquelle elle ne peut se prononcer.

Il faut donc que la société fasse changer les techniques, non l’inverse. Ie : il nous faut adapter Internet à un projet global de société, à notre modèle de relations entre les individus, à ce que l’on veut que soit la communication entre individus. Mais la communication dans son aspect technique ne peut en rien nous dire ce que doit être la communication humaine, au sens de relations entre les hommes.

Et encore : c’est Internet qui constitue une adaptation à la société actuelle, qui repose sur une individualité des goûts et des comportements. Les nouvelles techniques rejoignent le profond mouvement d’individualisation de notre société. Elles sont le symbole de la liberté et de la capacité à maîtriser le temps et l’espace. « Autonomie, maîtrise, et vitesse »… Cf. expression de « surfer sur Internet ».nouvelle utopie

Le Web devient alors la figure de l’utopie, d’une société où les hommes sont libres, susceptibles de s’émanciper eux-mêmes .


1) Qu’est-ce qu’une utopie ?

Utopie : invention d’un endroit dans lequel on peut, géographiquement situer une société exemplaire. C’est T. More qui inventa un lieu (une île) à laquelle il donna le nom d’utopia. C’est un endroit qui n’existe pas, un « non-lieu » . Idée d’un ailleurs ou d’une société meilleure. Cf. communisme.

 

2) Internet, nouvelle incarnation de notre désir d’ailleurs

Aujourd’hui, nous imaginons que la technologie peut créer une société idéale. Nous pensons que ce non-lieu est, non pas une île ou une planète lointaine, mais un espace cybernétique où tout est possible. Univers virtuel = univers parallèle au nôtre.

Début d’une nouvelle ère.

Cyberespace ou unité de l’humanité est l’utopie par excellence. Cf. un seul mégaordinateur planétaire. Un seul espace de communication qui contient tous les signes produits par la culture, avec l’anglais comme seconde langue pour tous. Une seule sphère sémiotique pour l’humanité. « Etre créatifs ensemble ». Fin des frontières, des guerres, etc.

Utopie qui fonde les nouvelles technologies : celle d’une meilleure communication entre les êtres humains, qui a commencé avec l’écriture, l’alphabet, l’imprimerie, mt les nouveaux médias électroniques, et bientôt, le cyberespace, monde global vers lequel tout converge. Utopie d’une intelligence collective. Capacité de partager les connaissances, d’imaginer la coopération intelligente, la proximité de tous les hommes entre eux.

 

3) Quelles sont les pires illusions ?

a) L’hypothèse d’un volume considérable d’informations instantanément accessibles par n’importe qui, sans compétence particulière

Avoir accès aux réseaux ne peut suffire à nous cultiver, car :

1) il faut des compétences préalables, qui, elles, ne s’acquièrent pas « toutes seules » : il faut avoir « appris » à apprendre ; il faut beaucoup de connaissances préalables pour comprendre cette multitude d’informations, ie, les organiser, et même, les lire tout court. Ainsi, vous ne pourrez substituer la lecture de mes cours à un véritable cours ! !

De plus, 2) ne faut-il pas se méfier de ce qui se trouve sur le web ? qui vous dit que les informations qui s’y trouvent sont fiables ? (cf. erreur, mensonge, tromperie, et surtout, manipulation, vu le nombre de sectes qui investissent le web, en en le disant pas toujours ouvertement…)

Et enfin 3) la culture ne se réduit pas à emmagasiner des informations et suppose une permanence

b) L’hypothèse de la fin des inégalités sociales, et de l’insertion dans la société de ceux qui n’en font plus partie (chômeurs, rmistes, clochards, etc.), sous prétexte que tout le monde peut avoir accès à n’importe quelle information

Au contraire, Internet pourrait creuser ces inégalités sociales, car il ne faut pas oublier qu’Internet, ça coûte (de plus en plus d’info vont être payantes, surtout les « cours en ligne », et de toute façon, malgré les accès gratuits, surfer sur le net n’est pas gratuit –sans oublier bien sûr l’achat de l’ordinateur, du modem, etc.)

- que la liberté soit ici de mise : un « réseau » ne peut permettre cette soi-disant liberté de choix :

- « pas besoin de se déplacer » : ne pas oublier que certaines catégories sociales, en se déplaçant pour accomplir certaines tâches (administratives, justement), sont insérées dans la société, ont des contacts qu’elles n’auraient pas autrement

 

CONCLUSION : TELEVISION OU INTERNET ?

D. Wolton oppose télévision et Internet : la télévision sert à « rassembler des individus et des publics que tout sépare par ailleurs et à leur offrir la possibilité de participer individuellement à une activité collective. » La télévision est comparable au vote, sauf qu’elle est une activité continue.

Internet, quant à lui, ne concerne que les relations interindividuelles, négligeant la question du lien social et de la communauté (qui n’est pas un ensemble d’individus).

Mais attention ! S’il préfère la télévision en tant qu’elle est l’« outil » de la démocratie de masse, en tant qu’elle réunit l’individuel et le collectif, il ne nie pas qu’Internet, après tout, puisse faire la même chose. Les deux médias ne sont pas à penser en termes hiérarchiques, c’est tout.

 

 


 

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