Analysons
tout d'abord les termes du sujet: par le terme seul, il est ici
entendu l'isolement et l'absence de contact, par exemple, l'ermite
est seul car il vit retranché de la civilisation. Le sage
de l'antiquité, lui aussi, prônait la solitude. Le
terme être soi même correspond à penser par
soi même, affirmer sa propre personnalité, détenir
ses propres convictions et son propre jugement.
Ce
sujet fait intervenir la conscience réflexive. L'homme
est le zoon politikon d'Aristote, c'est à dire une citoyen
avant tout. Il faut donc savoir si autrui est un obstacle à
la constitution de soi. D'entrée il semblerait que oui
dans la mesure ou il peut paraître qu'autrui n'a pas à
influencer la constitution de soi. Mais, plongés dans la
solitude sommes nous capables d'être nous mêmes?
Il nous faudra donc étudier dans une première partie
en quel sens il est nécessaire d'être seul pour être
soi même, dans une deuxième partie s'il est possible
d'être soi¬ même sans les autres, enfin, comment
et si il est possible d'être soi même. (ici,
je précise que normalement on ne doit pas annoncer le plan
de cette façon : il faut poser des questions !)
Première
partie
La
vie sociale nous pousse à ne pas être nous mêmes.
Schopenhauer a dit que nous sacrifions notre individualité
à la société. En effet, en société,
il faut toujours plaire, être conforme à une certaine
image sociale. En société, je passe mon temps à
jouer un rôle... le rôle de l'élève,
le rôle de la fille, le rôle que la personne que l'on
ci en face de soi s'attend à voir dans notre comportement.
Ce n’est pas pour rien que la monumentale oeuvre de Balzac
s'appelle La Comédie Humaine. Il faut prendre
garde à ne pas blesser la sensibilité des gens que
nous côtoyons en affirmant ce que nous pensons. Ces contraintes
empêchent d'être soi même. l'Homme est tenu
de masquer ce qui fait de lui un individu, c'est à dire
un être dont la sensibilité, dont le passé,
ne ressemblent à aucun autre. Jean Jacques Rousseau affirmait,
dans Discours sur les sciences et l'art: "Il règne
dans nos mœurs une vile et trompeuse uniformité, et
tous les esprits semblent avoir été jetés
dans le même moule". La vie en société
prive l'Homme de dévoiler ses pensées et ses sentiments
les plus sincères. Enfin, selon Sartre, l'existence d'autrui
est ma chute originelle, car dès que l'autre apparaît
je ne me vois plus qu'à travers son regard. Comme il me
renvoie une fausse image de moi même, je ne me vois plus
tel que je suis, et donc je n'agis plus comme comme je suis mais
comme il me voit. A travers l'autre je deviens un objet et non
pas ce que je suis. L'autre à être ce qu'il veut
voir en moi.
Les autres m'empêchent d'être moi même par l'éducation
qu'ils m'apportent. Les enfants, par exemple, sont obligés
de répondre à des modèles sociaux qui ne
respectent pas leur individualité. Pour s'affirmer, l'homme
a besoin de rompre le lien psychologique de l'enfant qu'il a avec
sa famille et son entourage de jeunesse.
Les
autres empêchent également l'homme d'être lui
même car ils ne peuvent pas le comprendre. Gaston Berger
disait "Les autres ne peuvent pas me violer ma conscience,
je ne peux pas leur en ouvrir l'accès). La personne que
je suis vraiment ne peut pas être comprise, elle est trop
différente et trop complexe pour être saisie. Il
est parfois difficile à un individu de se comprendre lui-même;
pour comprendre l'autre c'est encore plus difficile, il y a trop
d'éléments à prendre en considération.
Seule
la solitude permet de me retrouver. Plus un individu a une personnalité
forte, plus il cherchera à s'isoler pour ne pas être
obligé de moduler son moi en fonction des autres. Seul
avec moi-même je peux me connaître tel que je suis.
Cette connaissance me permet d'exister, non en fonction des autres,
mais par rapport à ma nature profonde et véritable.
"Homme, si tu es quelqu'un, va te promener seul, converse
avec toi-même et ne te cache pas dans un chœur",
Épictète, Entretiens, 111, 14, 2.
La
seule façon d'être soi même est de renoncer
aux échanges avec autrui. Sa présence, ses attentes,
ses jugements me forcent à jouer un rôle.
Deuxième
partie
Cependant,
vouloir la solitude c'est encore penser aux autres. Ce n'est qu'une
fois éduqué par les autres que l'on peut désirer
être seul. Un animal, dans la nature, peut vivre de façon
solitaire, mais il ne sait pas ce que veut dire "être
seul". C'est donc par rapport aux autres que je souhaite
la solitude, puisque c'est par rapport à eux que je m'isole
volontairement.
L'autre
est nécessaire à la construction et à la
vie du "moi". Hors de la société, l'homme
se déshumanise, perd son moi, comme le décrit Michel
Tournier dans Robinson ou les Limbes du Pacifique. Grandir sans
les autres est ne jamais l’acquérir, prenons l'exemple
des enfants sauvages, décris par Lucien Malson dans Les
enfants sauvages, qui grandissent hors de la société
humaine et ne sont ni des hommes, ni des animaux, car ils ne possèdent
ni la pensée, ni l'instinct de l'animal qui a été
élevé' par sa horde. Les autres apprennent donc
à l'Homme à penser, et lui apprennent a% créer
son moi, l'entretiennent, car c'est la relation avec les autres
qui permet de penser. Selon Platon, le dialogue permet de se connaître
soi même. Sartre le confirme en affirmant: "Pour obtenir
une vérité quelconque sur moi, il faut que je passe
par l'autre". Enfin, lorsque Sartre affirme "l'enfer
c'est les autres", dans Huis Clos, c'est bien dans le sens
où il est mon miroir et m'oblige à me voir tel que
je suis.
Ensuite,
le moi ne peut s'affirmer qu'en affirmant sa différence
aux autres. "Ce qui importe, ce n'est pas de savoir à
qui et à quoi ressemble quelqu'un, c'est de découvrir
en quoi il ne ressemble en aucun autre" disait Raymond Carpentier
dans La Connaissance d'autrui. En effet, s'il n'a pas de conscience
propre, le moi n'est que le "on" de Heidegger. Il ne
fait que se conformer aux idées de l'opinion publique.
Il a besoin de se confronter aux autres pour exister. "Personne,
il est vrai, ne s'est jamais érigé en juge absolu
de soi. Pour chacun, le jugement d'autrui importe essentiellement",
affirmait Karl Jaspers, dans Introduction à la Philosophie.
Enfin,
Nietzsche affirmait qu' "Il n'y a pas d'être en soi".
c'est à dire que ce sont les relations qui constituent
les êtres. Cela signifie, que si l'homme pense par lui même,
il s'inscrit dans un réseau extraordinairement complexe
de relations avec le monde qui l'entoure, ce monde permettant
a sa pensée d Il évoluer.
Je
ne peux être moi-même sans le concours des autres.
La solitude ne permet aucune évaluation. Pour être
moi-même j'ai besoin de points de repère afin de
savoir qui je suis. "Le meilleur moyen pour apprendre à
se connaître, c’est de chercher à comprendre
autrui", disait André Gide dans son Journal.
Il
faut donc trouver un moyen d'être soi même dans la
société. Pour ce faire, il ne faut pas se laisser
influencer. Il s'agit donc de penser pour être moi-même,
ce qui implique de se méfier de l'opinion d'autrui, d'en
douter, et d'apprendre à se connaître. Ainsi que
l’écrit Alain dans Mars ou la Guerre jugée
"chacun a pu remarquer, au sujet des opinions communes, que
chacun les subit et que personne ne les forme". Pour être
moi-même, je dois donc me méfier de l'opinion publique
qui me conduit à penser, non pas par moi-même, mais
à me conformer à l'avis général. Il
faut aussi douter de ses préjugés pour être
soi même, c'est à dire qu'il faut toujours se remettre
en question. Descartes, par exemple, décrit dans le Discours
sur la méthode comment il prit un jour le parti de rejeter
tout ce qu'on lui avait enseigné. Il pouvait ainsi entreprendre
la construction de sa propre réflexion et en être
sûr, car il ne subissait plus l'influence de connaissances
mal assurées. Enfin, pour être soi même, il
faut apprendre à savoir qui l'on est. Socrate à
repris à son compte l'adage populaire "connais-toi
toi même". C'est donc en descendant au plus profond
de soi même que l'on peut saisir sa véritable nature
tout en comprenant l'Homme en général.
Il
est important de savoir que le cycle infernal de la dépendance
à autrui ne peut être brisé. En effet, j'ai
besoin des autres pour me connaître, mais les autres m’empêchent
d'affirmer mon individualité car il me renvoient une fausse
image de moi-même. Je ne peux échapper à ces
contradictions, je ne peux sortir de ce cycle infernal. Oui, les
autres m'empêchent d'être moi-même, mais je
ne peux pas être moi-même sans les autres.
Etre soi même, c'est donc affirmer sa propre personnalité
tout en restant en contact avec la civilisation qui m’a
tout donné. Il faut donc faire avec l'entrave que m'impose
la société, et en même temps profiter de tout
ce qu'elle peut apporter à mon enrichissement personnel.
"Moi, je ne suis rien d'autre que mes objets passés,
mon moi n'est fait que d'un monde passé, précisément
celui qu’autrui fait passer", disait Gilles Deleuze
dans La Logique du sens.
Il
est donc nécessaire de faire preuve de disponibilité
critique pour être soi même. Je dois en effet être
ouvert aux autres mais toujours mesurer et analyser ce qu'ils
m'apportent pour le rendre mien. Je dois être capable de
toujours évaluer ce qui m'est apporté par autrui
pour savoir si je peux accepter cette chose, ou savoir si elle
ne me correspond pas. L'importance de la disponibilité
critique est démontrée par l'histoire de notre siècle,
de ses dictatures. En effet, si des gens peuvent accepter les
idées d’Hitler comme les leurs, ils n'ont pas fait
preuve de disponibilité critique, car ils n'ont pas su
analyser ce qui leur était apporté.
Conclusion
Mes
relations avec les autres me permettent de créer mon "moi",
cependant elles peuvent aussi le dénaturer. Etre soi même
en toutes circonstances revient également à s'imposer
la solitude, parce que je choque l'Autre en ne m'intégrant
pas dans une société qui m'à formée
mais qui m'emprisonne en m'obligeant à me conformer à
elle. Elle est pourtant nécessaire à l'équilibre
de mon "moi". Il est donc nécessaire d’être
seul régulièrement afin de plonger à l'intérieur
de soi et de retrouver ses racines. Finissons avec cette phrase
de Luc de Clapiers, marquis de Vauvenargues: " La solitude
est à l’esprit ce que la diète est au corps,
mortelle lorsqu'elle est trop longue, quoique nécessaire",
Réflexions et Maximes.