Plan

I- Le mécanisme cartésien : le corps-machine

II- Critique du mécanisme cartésien : le vitalisme

A- la spécificité du vivant (Kant), ou : qu’est-ce qui distingue une machine d’un être vivant ?
B- le vitalisme

1) l’âme comme principe de vie (Aristote)
2) le principe de finalité
3) du finalisme interne au finalisme externe (le vivant comme preuve de l’existence de Dieu ?)

III- Peut-on se passer du principe de finalité ?

A- la critique de la preuve par le « design » (ou téléologique) : Hume, Dialogues sur la religion naturelle
B- la théorie de la sélection naturelle de Darwin : le vivant est le fruit de la sélection naturelle ; on se passe définitivement de la finalité ou de Dieu


Cours

Introduction

Nous soulèverons dans ce cours deux questions :

(1) Une question éthique : peut-on faire ce que l’on veut du vivant ? Ie, des êtres vivants en général, mais aussi, de mon corps, de mes organes ?

• Cf. bio-éthique : réflexion critique sur les connaissances scientifiques dans le domaine de la vie, et surtout, sur leurs applications pratiques (précision : si la bio-éthique est une discipline récente, aux confins de la philo, du droit, et de la théologie, on a tout de même depuis toujours réfléchi de manière critique sur ce que l’on pouvait faire ou ne pas faire dans le domaine de la vie : cf. interdiction, qui a d’ailleurs longtemps retardé les progrès scientifiques, de disséquer des cadavres ; serment d’Hippocrate)


• Il semble que en ce domaine tout ne soit pas permis : on n’a pas le droit de vendre son ou un corps, en totalité ou en partie, etc. Questions du genre : peut-on breveter le vivant ?

• Il est clair que le « peut-on » ne signifie pas la possibilité ; il s’agit justement de savoir si malgré la possibilité ouverte par la science, on a le droit de…

• Ici, il s’agit d’un problème plus large : celui de la technique

(2) Une question ontologique : qu’est-ce que le vivant ? Est-ce un objet comme les autres, ou bien un être doté de qualités spécifiques, qui en feraient par exemple un être digne de respect ?

Définition du vivant :


o organisme, ensemble constitué par des éléments ou organes remplissant des fonctions différentes et coordonnées


o définition plus « technique » : ensemble unifié et relativement autonome, présentant des fonctions spécifiques : la reproduction, l’action de se nourrir ; la résistance à l’extérieur, en même temps que le besoin d’être en relation continuelle avec lui


• Quoi d’exceptionnel dans cette définition ? : pour être organisé, un être ne doit-il pas avoir quelque chose comme une âme… ou être produit, peut-être, par quelque chose comme une âme ?


• On se demandera ici si la finalité dont paraît être doté cet être est réelle, ou seulement une illusion toute humaine

La réponse à (1) doit donc passer par une réponse à (2), ce qui fera l’objet du cours. Après quoi nous pourrons répondre à (1) dans notre conclusion. On veut d’abord savoir de quel genre d’être on parle, et ensuite on se demandera si c’est seulement parce que la technique remet en question la condition humaine et sa terre d’accueil….

Si l’on interroge aujourd’hui un étudiant en sciences, il nous dira que l’être vivant n’est pas un être exceptionnel. Cette réponse était déjà celle de Descartes au 17e, et domine aujourd’hui les livres scolaires. On appelle cette conception le mécanisme. Qu’est-ce que le mécanisme ?

I- Le mécanisme cartésien : le corps-machine

Lisons le texte suivant de Descartes.

Descartes, Les principes de la philosophie, IV, art. 203 :

(…) toutes les choses qui sont artificielles, sont avec cela naturelles. Car, par exemple, lorsqu’une montre marque les heures par le moyen des roues dont elle est faite, cela ne lui est pas moins naturel qu’il est à un arbre de produire ses fruits. (…)

Définition générale du mécanisme : ensemble de pièces agencées pour produire ou transmettre un mouvement.

Caractéristique essentielle du mécanisme cartésien : postule que les êtres vivants sont comparables à des machines. La structure des êtres vivants est comparable à celle des poulies et autres leviers qui composent les machines : leur agencement est descriptible de manière purement physique, sans qu’il soit nécessaire de supposer un principe intelligible supérieur. Un être vivant est de la matière en mouvement, point. On ne met pas l’accent sur la distinction matière vivante et inerte, qui ne suppose pas de saut fondamental.

NB : c’est la définition du vivant communément acceptée en biologie : le vivant ou les phénomènes vitaux s’expliquent sans intervention de la finalité, par des causes efficientes ou des propriétés physico-chimiques.

Conséquence : les animaux n’ont pas d’âme ; un être vivant n’ayant rien de spécifique, on ne voit pas en quoi on pourrait bien alors parler de « droit à la vie ». On peut faire ce qu’on veut d’un animal !

Précisons qu’il y a une petite ambiguïté dans cette théorie : Descartes veut-il dire que le corps vivant est réductible à la matière et au mouvement, c’est-à-dire, qu’il une machine ? Ou bien qu’on n’a besoin de rien d’autre pour le connaître ?

II- Critique du mécanisme : la spécificité du vivant, être organisé : le vitalisme


A- La spécificité du vivant ou qu'est-ce qui distingue un être vivant d'une machine ?

Kant, CFJ, § 65 (être vivant, horloge) : l’être vivant est un être s’organisant lui-même et par là même irréductible à tout mécanisme. Au contraire du vivant, la machine ne se répare pas elle-même et ne se reproduit pas.

Kant, Critique de la faculté de juger, 1790, § 65 :


Dans une montre, une partie est l’instrument qui fait se mouvoir les autres ; mais un rouage n’est pas la cause efficiente qui engendre les autres ; une partie, il est vrai, existe pour l’autre, mais non par cette autre. La cause efficiente de ces parties et de leur forme n’est pas dans la nature de cette matière mais au dehors, dans un être qui peut agir en vertu de l’idée d’un tout possible par sa causalité. C’est pourquoi dans une montre un rouage n’en produit pas un autre et encore moins une montre d’autres montres, en utilisant (organisant) pour cela une autre matière ; elle ne remplace pas d’elle-même les parties dont elle est privée (…). Si elle est déréglée, elle ne se répare pas non plus d’elle-même, toutes choses qu’on peut attendre de la nature organisée. Un être organisé n’est pas seulement une machine –car celle-ci ne détient qu’une force motrice- mais il possède une énergie formatrice qu’il communique même aux matières qui ne la possèdent pas (il les organise), énergie formatrice qui se propage et qu’on ne peut expliquer uniquement par la puissance motrice (le mécanisme).

Organisme vivant
Machine : exemple : montre
tout finalisé : un organe n’existe qu’en fonction du tout, le « corps vivant » ; c’est le tout qui lui donne sens, en même temps que chaque organe assure la permanence du tout Dans l’organisme, tout est réciproquement moyen et fin : chaque organisme a pour fin de vivre et chacun des organes est moyen de cette fin (cf. métaphore de l’organicité en politique, cf. Hobbes, Léviathan , la cité comme organisme ou corps, dont chaque individu est organe : l’individu s’oppose mais en même temps n’existe pas sans le tout dont il fait partie et grâce auquel il est, se maintient en vie).
On dit que l’organisme est une unité (cf. Leibniz : « je tiens pour un axiome que ce qui n’est pas véritablement Un être n’est pas véritablement un ETRE).

La montre n’est pas sa propre fin : elle a pour fonction de donner l’heure ; dans l’arbre, la tige produit la feuille, dans la montre, le ressort ne produit pas les engrenages, ni ceux-ci ne produisent les aiguilles (ils se contentent de les mettre en mouvement).On peut la monter, la démonter, la remonter, etc.

Une montre est réductible à la somme de ses parties constitutives

Permanence :cf. principe de vie ; résistance avec l’extérieur, etc.

Autonomie (ou auto-organisation)
- auto-engendrement (exemple : le sang se renouvelle lui-même
- et auto-réparation : la peau cicatrise…
- cf. maladie OU mort et alors plus d’être vivant justement ; maladie comme rupture d’unité = un système peut par exemple, dans le cas du cancer, se détacher du tout, s’en isoler. Guérir = obliger l’organisme à revenir à lui-même et à restaurer des relations « normales » avec le dehors
- reproduction Panne

ne peut se réparer toute seule…

Il semble alors qu’il faille recourir à quelque chose de spécifique pour rendre compte des êtres vivants. N’y a-t-il pas quelque chose ou quelqu’un qui organise ? L’organisme vivant n’a-t-il pas été, surtout, conçu pour une tâche ?

B- Le vitalisme : le recours à la finalité, à quelque chose comme une âme, n’est-il pas nécessaire pour rendre compte du vivant ?

Cf. Claude Bernard, Introduction à la médecine expérimentale, 2nde partie : « J’admets en effet que les manifestations vitales ne sauraient être élucidées par les seuls phénomènes physico-chimiques ».


1) Aristote : l’âme comme principe de vie

- âme = principe vital, principe qui anime, met en mouvement, fait vivre, le corps
- les trois genres d’âme selon Aristote

L'âme a avant tout à voir avec la vie : tout ce qui est vivant a une âme. Elle est en effet définie, cf. De Anima, II, 1, comme étant "la réalisation première d'un corps qui a potentiellement la vie".

Distinction acte premier et acte second : quelqu'un peut avoir acquis une capacité, par exemple, un savoir, et ne pas l'exercer toujours : on dit que c'est un acte premier; par contre, on parle d'acte second quand cette capacité est effectivement, en train, d'être exercée

Ici : l'âme est l'acte premier du corps vivant, elle fait de lui, un être vivant; elle est donc ce qui fait qu'un corps potentiellement vivant l'est effectivement, elle est ce qui fait qu'il peut exercer ses fonctions vitales (le rend capable d'exercer ses fonctions)

Exemple : si l'œil était un animal, son âme serait la vue

Autrement dit : l'âme n'est pas la vie elle-même, mais ce par quoi nous vivons, elle est un "principe vital". L'âme est donc le principe d'organisation et de fonctionnement du corps. Il y a dès lors autant d'âmes que de genres d'êtres organisés.

Végétaux = âme nutritive
Animaux = âme sensitive
homme = âme pensante

Fonctions végétatives ( croissance, assimilation, respiration, reproduction)

Assure la perpétuation des formes corporelles, le maintien de la vie

Fonctions sensitive et motrice

ce qui fait qu'on peut ressentir de la peine et du plaisir, et se mouvoir

ce qui fait qu'on pense et raisonne

Cela donne une vision continuiste de la nature, car chaque niveau inférieur se trouve englobé dans le niveau supérieur; pas de rupture entre les genres d'être (même si Aristote reconnaît la spécificité de l'âme humaine qui est rationnelle)

Pas du tout dualisme : pas d'âme sans corps puisque l'âme est quelque chose de biologique, qui a avant tout à voir avec la vie; donc, contrairement à Descartes, il n'y a pas à chercher le pourquoi, le comment, de l'union âme et corps (alors que l'union unit ce qui est séparé, il y a ici unité). L'âme est faite pour user du corps, et le corps est fait pour être son instrument

2) la finalité

Trad., par « finalité », on entend le pourquoi par opposition au comment (cf. concept de cause), ie,

- le repérage d’une certaine adaptation de moyens à des fins définies

- l’idée de finalité traduit ainsi généralement une pensée à la fois analogique et anthropomorphiques : on prend modèle sur l’action de l’homme pour comprendre la nature et surtout les organismes vivants :

- par exemple, si l’homme fabrique une horloge c’est pour s’organiser (lire l’heure); on dira que de même si l’oiseau a des ailes (moyen) c’est pour voler (fin). Autre exemple : on a des mains pour couper ; on coupe parce qu’on a des mains…

- Cf. Aristote, « la nature ne fait rien en vain » ; « dame nature », Bichat : « la vie, c’est l’ensemble des forces qui résistent à la mort »,

- orientation vers un but conscient ; orientation vers un objectif à réaliser. L’organisme, la vie, semble bien avoir un but précis (J. Monod, dans Le hasard et la nécessité, parle de « téléonomie », propriété qu’ont les êtres vivants d’être dotés d’un projet).

Cf. Lamarck : nos organes « servent » à quelque chose, c’est comme s’ils avaient été créés en vue de nos besoins ; la fonction précède en quelque sorte l’organe (exemple : le pouvoir des yeux nous a été donné pour nous permettre de voir au loin ; présupposé : la faculté de voir existe avant la constitution des yeux)

En quoi le concept d’adaptation est-il finaliste ? Un poisson est adapté à la nage parce qu’il a des nageoires, un oiseau au vol car il a des ailes (un organisme est adapté au milieu où il vit parce qu’il possèdes des organes qui lui permettent de vivre facilement dans ce milieu) ; bref, on décrit alors chaque organe en lui attribuant une fonction particulière adaptée au milieu; tout organe doit être optimisé vis à vis de la survie de l’animal dans son milieu (exemple : respiration dauphin : ce serait mieux pour lui de respirer dans l’eau mais il a des poumons…). L’adaptation des organismes à leurs conditions d’existence ne doit pas être considéré comme signifiant que tout dans la nature est adapté :Ils présentent donc (contrairement aux objets purement naturels) tous les caractères de la finalité, mais ils ne sont évidemment pas les produits d'un art humain (qui ne peut que les modifier, comme le font les éleveurs). Comment rendre compte de ces caractères?

3) du finalisme interne au finalisme externe (le vivant comme preuve de l’existence de Dieu ?)

- finalisme externe : relation d’utilité ou de convenance entre les choses ou les êtres (exemple : si le mouton a une fourrure, c’est pour que l’homme puisse avoir chaud)

- derrière le vivant mais aussi l’ordre de la nature, il ne peut que y avoir une intelligence à l’œuvre, qui a voulu, projeté, organisé, etc.

W. Paley :


« Il ne peut y avoir de dessein (design) sans quelqu’un pour le former (a designer) ; d’invention sans inventeur ; d’ordre sans choix ; d’arrangement sans être capable de ranger ; d’utilité (subserviency) et de relation à un but (purpose), sans quelque être qui puisse se fixer un but ; de moyens convenant à une fin, sans que la fin n’ait jamais été envisagée, et que les moyens ne lui aient été ajustés (accomodated to it). Ajustement, disposition des parties, utilité de moyens en fonction d’une fin, rapports des instruments à un usage impliquent la présence d’une intelligence et d’un esprit.»

Il a trouvé un terrain de choix pour ses démonstrations de l’existence de Dieu dans l’histoire naturelle et plus particulièrement dans l’anatomie. Le parfait ajustement des parties d’un organisme –leur « adaptation » les unes aux autres ainsi qu’au milieu- ne doit-il pas être regardé comme le signe d’un dessein (design) de la nature ? Plus généralement, l’ordre de cette nature, y compris dans ses perturbations passagères, offre à l’esprit de l’homme la preuve irréfutable de l’existence d’un Dieu prévoyant. Il croit donc à ce que Lovejoy a nommé « l’échelle des êtres » : i.e., un ordre de la nature, dont le sens se trouve prédéterminé.

(1) l’univers ressemble à une machine (objet de l’art humain)
(2) d’où la similitude de leurs causes
(3) une machine est due à une intelligence, à un dessein
(4) l’univers également, en vertu de (1) et (2)

III- Peut-on se passer du principe de finalité en biologie ?


A- la critique de la preuve par le « design » (ou téléologique) : Hume, Dialogues sur la religion naturelle

Il s’oppose ici à la preuve de l’existence de Dieu dite « par le design », qui est le pilier de toute religion naturelle. Cette dernière croit pouvoir remonter des lois de la nature, qui sont rationnelles, unifiées, etc., à la Divinité, entendue comme intelligence créatrice, en arguant du fait qu’elles prouvent l’existence d’un dessein (divin). On irait d’un monde-machine à un Dieu architecte.

cf. Textes de Newton et de Paley

Critique de la preuve du « design » :

- cet argument n’est valide que si seule la raison elle seule peut engendrer l’ordre ; cela ne va pas de soi, c’est un présupposé

- de plus, il est valable seulement si on admet une affinité réelle de pensée entre Dieu et l’homme ; or, cela revient à rabaisser l’homme à une créature (que faire en effet, alors, de l’infinité, de la perfection, de l’unité divines ?).

- enfin, il suppose que les ouvrages de l’homme ressemblent au monde, ce qui est contestable !

Bref, pour Hume, la religion naturelle n’est qu’un délire de l’imagination qui cherche à se donner les apparences de la raison. C’est de l’anthropomorphisme.

B- la théorie de la sélection de Darwin : le vivant est le fruit de la sélection naturelle ; on se passe définitivement de la finalité ou de Dieu


Hume a su déceler ce qui n’allait pas dans les arguments de la théologie naturelle ; les découvertes de Darwin permettent de confirmer son « intuition » philosophique. Darwin a en effet montré, à travers sa théorie de la sélection naturelle, que les fameuses « adaptations » des organismes à leur milieu ne présentaient nullement l’impeccable perfection postulée par les théologiens –donc, ne présupposent pas l’existence de Dieu…

Petit rappel de la conception darwinienne des espèces :


a) La définition darwinienne de l’espèce

D’abord, Darwin rompt avec le postulat de l’immutabilité des espèces. Conséquence : abandon du postulat de leur création séparée –puisqu’elle n’est concevable que si chaque espèce vivante est conforme à un type original (une essence stable et bien déterminée) fixé dès sa création. Pour Darwin, l’espèce n’est pas un type donné par rapport auquel les individus présenteraient plus ou moins de conformité. Au contraire, ce sont les individus qui se modifient, et les espèces se forment ou se déforment à partir de ces modifications .


b) La sélection naturelle explique ce que cherchait à expliquer la finalité naturelle

En conséquence, Darwin décide d’abandonner tout recours aux causes finales (= finalité naturelle) pour expliquer les phénomènes, même si ces phénomènes sont vivants. C’est elle qui rend compte des mécanismes de la descendance. L’idée de « sélection », qu’il emprunte aux éleveurs , n’enveloppe aucune idée de choix, aucune intelligence de la nature :

Darwin, L’origine des espèces, 1871 :

« On a dit que je parle de sélection naturelle comme d’un pouvoir actif ou d’une Divinité ; mais objecte-t-on à un auteur lorsqu’il parle de l’attraction de la gravité comme gouvernant (ruling) les mouvements des planètes ? Chacun sait ce que signifie et implique l’usage de telles expressions métaphysiques ; et elles sont presqu’inévitables si l’on veut être bref. Ainsi, une nouvelle fois, il est difficile d’éviter de personnifier le mot de Nature ; mais j’entends par nature, seulement l’action conjuguée (aggregate action) et le résultat de nombreuses lois de la nature, et par « lois » je désigne la séquence des événements en tant que nous les établissons.»


La « sélection » s’opère sur les petites modifications qui se trouvent affecter les organismes individuels ; à un moment déterminé, telle modification apportera à un organisme donné un avantage qui lui permettra de l’emporter sur les autres dans la lutte que se livrent nécessairement les êtres vivants pour s’approprier les moyens d’existence ; cette modification se transmettra à sa descendance qui se répandra au détriment de la formation antérieure. La transformation des formes vivantes apparaît ainsi comme le résultat de l’accumulation continue et progressive de ces modifications insensibles.

Par sa théorie de la sélection naturelle, Darwin n’affirme donc nullement que la nature présente le témoignage d’un dessein divin, mais au contraire, elle est le fruit du hasard. En effet, les petites variations sur le lot desquelles apparaît le tri dont résulte la transformation apparaissent par hasard (« by chance »), au sens où elles ne sont dirigées ni par un plan prédéterminé, ni par les seules modifications du milieu. Les petites variations sur lesquelles opère la sélection affectent les individus de façon aléatoire et ne se transmettent à leur descendance qu’en fonction de l’avantage qu’elles confèrent éventuellement à l’organisme considéré dans sa lutte avec les autres organismes pour s’approprier un milieu donné. La réussite d’une forme vivante donnée à l’issue de ce « tri » ne signifie nullement qu’elle soit en elle-même plus « parfaite » qu’une autre ; il s’agit d’une réussite temporaire et relative à un état donné du milieu biotique.

On peut donc se passer de la finalité. Mais pour autant, peut-on vraiment réduire le vivant à ses propriétés physico-chimiques ? Tout être vivant s’explique-t-il par la matière ?

On peut d’autant plus s’en étonner qu’au niveau individuel, un être vivant est un ensemble de gènes. Sommes-nous donc réductibles à nos gènes ?

Conclusion


Problème n°1 : le hasard ne permet-il la liberté ? sommes-nous réductibles à nos gènes ? et nos gènes nous déterminent-ils ?

Problème n° 2 : si le vivant ou la vie n’a rien d’exceptionnel alors pourquoi le « droit à la vie », et pourquoi ce respect de la vie dans nos sociétés ?

Les deux problèmes se rejoignent :

Peut-on réduire l’homme, et un organisme vivant en général, à une machine, dont les possibilités seraient déterminées, à la base, par un programme quantifiable (cf. génétique) ? Quelles conséquences pour la société si on laisse tout faire dans le domaine du vivant ? (ici, cf. statut éthique de la technique, à distinguer soigneusement de la science). Ici, on verra que si l’on ne peut pas faire ce qu’on veut du vivant, c’est aussi parce qu’il participe de l’équilibre du monde dans lequel nous vivons….

Cf. se voir greffer la main de quelqu’un d’autre, et même d’un cadavre ; une grand-mère devenue mère-porteuse de sa fille ; naître avec un kit de réparation ; naître en sachant quels risques on court (ou on porte dans nos gènes) ; programmer un être pour en réparer un autre

Tout cela engendre des problèmes inédits, qui peuvent détruire la personne, instrumentaliser des êtres humains ou des animaux, changer la vie…

Le réductionnisme biologique a des conséquences dangereuses pour le vivre-ensemble des hommes. Il est une hypothèse peut-être nécessaire pour étudier le vivant, mais il ne peut rien nous apporter de bien si nous ne limitons pas ses conséquences sociales. Ne vivons pas comme si nous étions déterminés ! En plus au bout du compte ce serait une véritable destruction de la liberté (penser aux usages que pourrait faire de ça la société, le dictateur, les assurances, les employeurs).


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