Le Langage Les animaux parlent-ils ? L'exemple du "langage des abeilles"

Plan

A- Le langage des abeilles (K.V.Frisch) (1948).

B- Descartes contre Montaigne : les animaux ne parlent pas.

C- Benveniste, Problèmes de linguistique générale : le comportement des abeilles n'est pas un langage à proprement parler, mais un code de signaux

D- Le problème des chimpanzés


Cours

A- Le langage des abeilles (K.V.Frisch) (1948)

1) expérience effectuée

(1) Quand une abeille isolée découvre un butin, on la marque avant de la laisser retourner à la ruche

(2) Peu après, on constat qu'un groupe d'abeilles, parmi lesquelles ne se trouve pas la première, se rend au même endroit. Il a donc fallu que la messagère ait informé ses compagnes

(3) En effet, rentrée à la ruche, elle s'est livrée à une danse que les autres ont suivie avec excitation. Cette danse peut prendre deux formes :

a) soit un simple cercle, si le butin se trouve à moins de 100 m de la ruche

b) soit un huit si le butin est à rechercher entre 100 m et 6 km (ici, l'inclinaison de l'axe par rapport au soleil indique la direction du butin, et la rapidité de la danse précise la distance)

2) Conclusion de cette expérience : les abeilles disposent d'un système de communication. En effet, on retrouve les caractéristiques principales d'un langage.

(communication : exige l'appartenance à une même espèce et l'usage d'un même code)

1- un symbolisme : la forme et la fréquence de la danse renvoient à une réalité constante et d'une autre nature (le butin)

2- un système : dans le cas de la danse en 8, 3 éléments sont combinés

3- l'exercice d'une relation : le message ainsi organisé est destiné à des individus qui possèdent ce qui est nécessaire pour le comprendre

B- Descartes contre Montaigne : les animaux ne parlent pas

1) Montaigne, Les Essais, II, xii : les animaux ont un langage.

Montaigne part du constat de cette communication animale pour dire que les animaux parlent tout comme l'homme. Il donne donc à la communication animale pleine valeur de langage : "qu'est-ce autre chose que parler, cette faculté que nous leur voyons de se plaindre, de se réjouir, de s'entr'appeler au secours, se convier à l'amour, comme ils font par l'usage de leur voix?"

Précision : si Montaigne peut soutenir la thèse d'un langage animal, c'est parce qu'il a d'abord nié la spécificité du langage verbal par rapport à la communication par gestes. Pour lui, le corps signifie tout entier. Il estime même que l'immédiateté et la publicité avantagent la communication par gestes sur la communication langagière.

Bref : si les animaux parlent tout comme l'homme, c'est parce que le langage est naturel. Etant naturel, il ne peut pas être la différence spécifique entre l'homme et l'animal.

2) Descartes, Lettre à Newcastle; Discours, 5 : le langage est le propre de l'homme.

Part du même constat que Montaigne et que V.Frisch : les animaux communiquent entre eux, et parfois de manière vraiment très complexe.

Contrairement à Montaigne, il va se poser la question de savoir si cela est bien le signe que les animaux parlent, en isolant d'abord les caractéristiques du langage humain au sein des systèmes de communication.

Montre que ces caractéristiques se ramènent à l'expression des pensées : la parole véritable renvoie à une pensée dont elle est l'extériorisation.

Par là, il refuse de limiter les fonctions linguistiques au seul usage de la voix : cf. fait que les sourds-muets de naissance ne peuvent s'exprimer par la voix mais inventent "quelques signes par lesquels ils se font entendre" et "expriment leurs pensées"

Puis il va se demander quelles capacités il faut donner à l'animal pour rendre compte de ses performances. Supposent-elles qu'on lui accorde la faculté de penser, ou bien les passions sont-elles suffisantes pour en rendre compte?

Les passions sont suffisantes car les animaux ne font qu'exprimer des affects (cris) ou poursuivre des fins biologiques. On ne trouve chez l'animal que quelque chose de l'ordre de la réaction immédiate à une sollicitation extérieure. Le langage n'est pas un comportement, un programme.

Conclusion : le langage est le propre de l'homme non parce que seul l'homme peut proférer des paroles, mais parce que seul il pense et peut exprimer ou communiquer ses pensées aux autres et surtout parce qu'il a un aspect créateur.

Ce qui singularise l'homme, c'est d'avoir un langage qui lui permet de s'ajuster à n'importe quelle situation. L'homme a la capacité de composer les signes linguistiques selon des arrangements divers, qui lui permettent de faire face à n'importe quelle situation de discours (ce que l'on fait grâce à la dimension syntaxique : sans programmation préalable, une réponse sera toujours possible).

Cf. Martinet, morphèmes et phonèmes. Le langage humain est, contrairement au cri de l'animal, articulé et cela de deux manières :

Première articulation du langage : ce sont les unités (morphèmes) que nous obtenons quand nous formons une analyse des énoncés. Exemple : "Attention! sauvons-nous!" :

1-"attention";

2-"sauv-";

3-"-ons";

4- "nous".

Ce qui est remarquable, c'est que ces unités sont susceptibles d'être utilisées en d'autres situations : ainsi je peux dire

1- "je fais ce travail avec attention"

2- "il a sauvé la situation"

3- "chantons"

4- "ce n'est pas pour nous"

Le langage a donc une puissance illimitée : ainsi, "quelques milliers d'unités (...) nous permettent de communiquer plus de choses que ne pourraient le faire des millions de cris articulés différents".

Deuxième articulation : les phonèmes.

Les unités premières sont à leur tour analysables en un nombre limité d'éléments minimum (des sons), dépourvus en eux-mêmes de signification, mais dont un seul suffit pour distinguer chaque unité significative de toutes les autres.

Exemple : "sauvons" : 1-s

    2-o

    3-v

    4-o

1, 3, 4 : "savon"

1, 2, 3 : "sauvage", etc.

Ce sont des phonèmes : on ne peut les analyser que dans la chaîne sonore du discours (le langage humain est donc essentiellement vocal). Ils confèrent au langage une économie : en effet, tout énoncé d'une langue peut être décrit comme la combinaison d'une dizaine d'unités (une trentaine en français).

 

C- Benveniste, Problèmes de linguistique générale : le comportement des abeilles n'est pas un langage à proprement parler, mais un code de signaux

Il reprend plus ou moins l'analyse cartésienne, mais de façon moins spéculative.

1- le symbolisme des abeilles est "un décalque de la situation objective" : une situation particulière ne peut donner lieu qu'à un message et à un seul, à la différence du symbolisme linguistique qui offre un grand nombre d'expressions pour une même situation.

Le contenu de ces messages est rigide, fixe : il n'est relatif qu'à la nourriture et à sa situation par rapport à la ruche et ne peut les indiquer que d'une seule façon. Ainsi, on n'imagine pas une abeille qui donnerait l'information qu'elle n'a rien trouvé d'intéressant à trois km de distance; ni une abeille qui refuserait de faire savoir où se trouve le gisement qu'elle a découvert. Elle rentre, elle danse, les autres s'envolent.

Il n'y a même pas ici esquisse d'un dialogue, d'un échange entre individus autonomes. Il se passe en fait la même chose que quand nos nerfs moteurs émettent un message nous disant de marcher pour nous procurer un aliment éloigné.

2- dans ce système, les possibilités de combinaison sont limitées par le fait que les éléments signifiants (le cercle et le 8) ne peuvent être décomposés en unités autonomes dépourvues de contenu ("éléments d'articulation") : chaque élément minimum étant doté d'un sens fixe, il ne peut se combiner librement avec d'autres

3- la communication ainsi réalisée n'est pas véritable relation, mais une simple information, ie, le message n'est ni réversible, ni modifiable (pas de possibilité de réponse ni de commentaire dans le même code), ni susceptible d'être repris à son compte par un autre émetteur

Ainsi, il ne possède pas toutes les caractéristiques de notre langage :

fixité du contenu invariabilité du message rapport à une seule situation nature indécomposable de l'énoncé (monèmes et phonèmes) transmission unilatérale

Bref : ce "langage" est fixe et limité et n'est donc pas un langage (cf. fait qu'il se ramène à la déf de trois thèmes toujours joints : nature du butin, distance, direction).

D- Le problème des chimpanzés

Les Premack ont toutefois mis en évidence que les chimpanzés ont un langage qui se rapproche plus du langage humain.

Cf. Sarah : communique avec lui à l'aide de petites pièces de plastique aimanté (forme+couleur) et un tableau magnétique. Elles représentent fruits (pomme, banane), qualités (rouge, vert), actions (donner, manger), des individus (Sarah, une monitrice); des relations logiques (identité, différence); empiriques (est la couleur de); métalinguistiques (est le nom de); des connecteurs (si alors, non).

Sarah, après de multiples essais et erreurs, a réussi à :

- former des phrases telles que : "Mary donner pomme Sarah"

-répondre "non" quand on lui présente la combinaison des jetons correspondant à "?pomme identique banane"

-répondre "oui" quand on met jeton correspondant à rouge en face de la combinaison qui correspond à "? couleur de pomme".

-acquérir des notions classificatoires (elle peut dire "jaune non couleur de pomme")

-employer les connecteurs ("si Sarah prend banane alors Mary donner chocolat sarah")

-développer une faculté de représentation : devant une pomme réelle, elle choisit les jetons qui correspondent à ses propriétés : rend, rouge, doté d'une queue, et écarte jetons qui signifient carré, vert, et dépourvu de queue. Devant jeton qui désigne pomme, qui est un triangle de plastique bleu, elle elle réussit à caractériser ce triangle de plastique bleu comme rouge, rond et doté d'une queue. Sarah a donc réussi à dissocier les propriétés du signe et celles de la chose, puisqu'elle se représente les propriétés du fruit alors qu'elle a sous les yeux un jeton qui en présente d'autres.

Les chimpanzés, loin de n'émettre que des signes dans telle situation, peuvent construire des phrases et semblent comprendre ce qu'est un langage...

Objections :

-l'apprentissage dont il est question repose sur les passions (joue sur les relations avec le moniteur, et la satisfaction de l'appétit)

-on met toujours le jeton à côté de l'aliment correspondant, comme pour souligner son rôle d'intermédiaire entre appétit et aliment que le jeton doit acquérir : dès lors, comment être sûr que Sarah traite bien les jetons comme les signes d'un langage? -cf. fait que les symboles ne sont pas d'authentiques signes, dans la mesure où ils s'épuisent dans la fonction de substituts représentatifs des objets (que faire alors des notions morales, des concepts désignant des choses qui n'existent pas?)

-de plus, il faut préciser que les chimpanzés sont un ordre à part au sein des animaux


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