Y a-t-il des guerres justes ?

 

 


Réponse de Philocours.com

L'expression de "guerre juste" semble presque contradictoire. Qu'a à faire avec la justice ce qui apparaît comme la rupture de tous les liens juridiques ? Ne fait-on pas la guerre parce qu'on se moque des normes de justice et qu'on compte prendre par la force ce que le droit ne saurait nous accorder ? C'est sans doute le cas le plus simple et personne n'ira alors dire qu'une telle guerre peut être juste.

Mais le cas est trop simple car qui rompt les règles de droit le fait souvent au nom d'une autre justice et pour s'opposer à la force injuste d'une loi inique qu'on lui impose. La violence guerrière semble alors répondre àune autre violence. Tous les belligérants prétendent ainsi que leur guerre est "juste" aussi bien celui qui rappelle ses "droits ancestraux" à régenter tel ou tel territoire que celui qui entend défendre les frontières internationales "injustement" mises en causes.

Problème des rapports force et droit.

Quelques références :

Rousseau, Contrat social, L. I, chap. III

Dans le Contrat Social (L. I, chap. III), Rousseau élabore une analyse bien connue des rapports entre la force et le droit. Certes, cette analyse ne porte pas directement sur la guerre et recherche, de façon générale, les sources du droit public ; mais il apparaît possible d'en tirer quelques conclusions quant à la question qui nous préoccupe. Si la force ne fait pas droit, c'est qu'elle est purement physique ; celui qui cède ne le fait pas par obligation, c'est-à-dire parce qu'il reconnaît une autorité et le bien-fondé de ce qu'elle impose ; il ne neut pas ce à quoi on le force, il le subit afin de rester en vie. De la force ne peut donc découler aucun droit et la guerre, parce qu'elle prétend imposer ceci ou cela par la force, n'est jamaisjuste et n'instaure aucune justice. Si c'est la force qui fait le droit, explique Rousseau, "l'effet change avec la cause" et 'toute force qui surmonte la première, succède à son droit". Ainsi, la guerre appelle la guerre et c'est simplement le plus fort qui, provisoirement, l'emporte. Un plus fort encore viendra bientôt contester par les armes ce que les armes ont imposé.

Kant, Vers la paix perpétuelle?

On peut toutefois imaginer une tout autre situation. Supposons des Etats constitués et des règles de droit international. La guerre serait alors juste quand un des Etats y contreviendrait. Une armée internationale jouerait alors le rôle de la police à l'intérieur des Etats et mettrait au pas le contrevenant. On parlerait ainsi de "guerre juste". Cette idée n'apparaît-elle pas chez Kant dans Vers la paix perpétuelle ? Il dit ainsi :

"On peut juger les peuples en tant qu'Etats comme des particuliers qui dans leur état de nature (c'est-à-dire dans l'indépendance vis-à~vis des lois extérieures) se lèsent déjà par leur seule coexistence et chacun peut et doit exiger de l'autre pour sa sécurité qu'il entre avec lui dans une constitution semblable à la constitution civique qui assure à chacun son droit" (VIII, 354).

Toutefois, on peut se demander si le terme "guerre" serait encore adéquat pour caractériser cette action de justice par laquelle on ramènerait par la force le contrevenant dans le droit. Car la constitution ainsi mise en place entre les Etats serait une "alliance de paix" et non un simple"traité de paix" à l'exemple de celui qu'on signe à la fin des hostilités. On ne rend pas juste la guerre par une telle alliance, au contraire, on cherche à éliminer à jamais sa possibilité.

 

Hobbes, De Cive : l'état de nature (dans cours sur l'Etat) = état préjuridique = état de guerre

Pascal (Pensées, 298) : réflexion sur les rapports droit/ justice et force (texte qui peut servir à supprimer le problème même du devoir!). "Ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste." La guerre est juste pour le vainqueur. Malheur au vaincu. Toute justice naît de la force parce que toute justice est une légitimation de la force. Ainsi, la guerre n'est ni juste ni injuste parce que la force s'impose d'elle-même et se justifie ensuite. On dira qu'il n'y a là que du cynisme. On rappellera la thèse de Rousseau selon laquelle la force n'engendre jamais le droit. Mais ce sera inutile. Car, c'est la notion de justice elle-même qui est maintenant tout autre. Elle n'est plus cet idéal de légitimation conventionnelle du pouvoir. La justice est maintenant, et dans ce bas-monde, ce qui maintient les hommes en paix. Est juste tout ce qui assure cette concorde qui évite le pire, c'est-à-dire la guerre. Le vainqueur instaure certes sa justice - mais il n'en est qu'une autre, selon Pascal, qui puisse prétendre la mettre en question : celle de Dieu, qui n'est pas de ce monde. La force étant première et la justice simple affaire de légitimation, la guerre est en deçà de la justice. Elle est un fait de la nature humaine et de la misère de l'homme sans Dieu.

Saint Thomas (Somme Théologique, IIa IIae, q. 40). Casuistique de la guerre.

"Tous ceux qui prennent l'épée périront par l'épée" dit Saint Matthieu (26, 52). Mais, Saint Thomas répond que "Ceux qui font des guerres justes recherchent la paix. Et, par suite, ils ne s'opposent pas à la paix". Faire la guerre pour obtenir la paix est légitime, même pour le chétien. Et Saint Augustin ne dit-il pas: "Sois donc pacifique en combattant, afin de conduire ceux que tu connais au bienfait de la paix, en remportant sur eux la victoire" (Lettre 189). Dans les théories déjà considérées, la justice était, d'une certaine façon, bien faible. Elle supposait un idéal conventionnel sous la forme d'une alliance de tous les Etats (Kant) ; ou bien, elle n'était qu'une légitimation de la force (Pascal). Chez Saint Thomas la justice est plus forte et les justes plus sûrs d'eux-mêmes. A tel point qu'ils peuvent fort bien déterminer à quelle condition la guerre est justifiable. La guerre juste est d'abord le fait d'une autorité elle-même légitime qui attaque l'ennemi en raison de quelque faute. La guerre juste est celle par laquelle pourrait régner plus de justice. On s'y propose donc de promouvoir le bien ou d'éviter le mal. Enfin, il faut une intention droite: le belligérant ne doit avoir aucun but inavoué qui, lui, serait injuste. La guerre cherche à réintégrer les nations antagonistes dans une communauté juste et fraternelle. Ainsi, une volonté de nuire ou une justice absurdement rigoureuse irait contre le but même que l'on se fixe. C'est le point essentiel : ce qui fait la légitimité de la guerre, c'est la pureté de l'intention qui l 'anime. On dira certainement que les plus fanatiques sont souvent conduits par une intention pure. Ce n'est pas si sûr. Saint Thomas ne donne certainement pas un quitus au fanatisme. La guerre est juste Si elle ne m'enlève pas toute justice. Le fanatique au contraire pense quela fin justifie tous les moyens. Agir en justicier oblige à la justice et n'en dispense certainement pas. Ainsi, dans une guerre juste on distinguera nettement les innocentes et les nocentes. Les premiers ne nuisent pas. Enfants, femmes, vieillards, médecins, etc., sont couverts par le précepte "Tu ne tueras pas.". Seuls ceux qui sont armés par l'ennemi sont nuisibles et dès qu'ils sont désarmés, ils deviennent innocentes . Ce qui est juste, c'est donc de combattre uniquement des objectifs militaires et non, comme telles, des vies hurnaines. La distinction est parfois difficile. Mais le juste sait qu'elle existe et il la recherche. Toute action disproportionnée ou volontairement meurtrière est aussi à proscrire.


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