Faut-il faire confiance à la raison ?

Plan


Corrigé

Faut-il : a) est-ce nécessaire ? Nécessité vitale ? Sociale ? b) devoir moral
Raison : a) pratique : faculté d’agir ; faculté de faire le bien, d’agir en prenant en compte l’intérêt d’autrui ; faculté e mesurer nos instincts, désirs, etc. ; b) faculté théorique, de connaissance, de calcul, de démonstration
Confiance : se reposer sur ; croire en son bien-fondé, croire qu’elle est toute puissante ; de l’ordre de la foi, de la croyance, sentiment

I- La raison, une nécessité, afin de connaître la vérité, et un devoir, afin de bien vivre (heureux mais aussi libre et équilibré)


• Raison et vérité : cf. philosophie et méthode pour se débarrasser des préjugés, des opinions : c’est la raison qui nous permet cela (cf. Descartes, Discours de la méthode, Méditations Métaphysiques)
• Raison et morale : c’est la raison qui nous permet de nous intéresser à l’autre (cf. la morale kantienne), de ne pas écouter seulement ses instincts, d’être libre et responsable
• Raison et bonheur : c’est la raison qui nous permet de parvenir au bonheur, cf. eudémonisme versus hédonisme extrême de Calliclès dans Gorgias de Platon

On doit donc une entière confiance à la raison, on doit se reposer sur elle, ne pas en douter. La prendre pour guide autant dans la connaissance que dans la vie.

II- La raison peut-elle tout connaître, tout comprendre ? (la confiance 100 pour cent n’est-elle pas critiquable, dogmatique ? n’est-ce pas le contraire de la raison que de se croire toute puissante ?)


• La raison essaie de tout expliquer, de rendre compte de tout (c’est d’ailleurs selon Kant le propre de la raison !) ; mais n’y a-t-elle pas de l’inexplicable par définition
o Cf. l’existence de Dieu : le théisme n’est nullement convaincant !
o on ne peut prouver, de toute façon, ce qui relève de l’existence en général ! (pourquoi y a-t-il de l’être plutôt que rien ? pourquoi est-ce que j’existe ? etc.)
• En science, elle ne peut tout expliquer, tout prouver : la raison doit reconnaître ses limites, on ne peut se débarrasser de notre point de vue humain sur les choses et donc, sans être sceptique, admettons que nous ne pourrons sans doute jamais savoir comment est « vraiment » le monde
• Dans le domaine des mathématiques, la raison démonstrative échoue également, elle ne peut tout démontrer
• Pour finir on peut même affirmer que avoir confiance en la raison est une attitude irrationnelle, indigne de la raison, car cela sous-entend que l’on n’en doute pas ! (cf. Descartes lui-même qui affirme dans les Méditations Métaphysiques que ce serait être fou que de douter de la raison ! alors que soi-disant il voulait douter de tout !)

Il faut donc douter des capacités de la raison, car elle ne peut prétendre tout connaître, tout comprendre, tout expliquer. Cela serait de la prétention. C’est ce que Kant appelle l’attitude dogmatique.

III- La raison est-elle la seule à nous permettre de vivre heureux, et équilibré ? Est-elle seule à même également de nous permettre d’agir moralement ? Cela ne sous-entend-il pas une conception assez désincarnée, somme toute, inhumaine, de l’homme ?


• Critique des stoïciens par Nietzsche : les stoïciens, poussant l’eudémonisme à l’extrême, veulent se débarrasser de notre affectivité, seule cause de troubles, source d’illusions, etc. L’homme, pour eux, ne doit être que raison. N. leur rétorquerait que la raison nie le corps, les sens, cela, parce qu’elle est faible, parce qu’elle ne supporte pas la vie, etc.
• Cf. la morale par provision de Descartes (in Discours de la méthode partie III) : il faut non pas suivre la raison, dans la vie de tous les jours, mais l’opinion, le vraisemblable
• Critique de la morale kantienne par Hume : pour Hume, la morale ne relève pas de la raison mais du sentiment (cf. texte ci dessous–expliqué dans le cours passions et raison) ; de toute façon on ne peut être suffisamment désintéressé si bien que la morale kantienne ne sert pas à grand-chose et se révèle trop rigoureuse, inhumaine
• Pour finir on peut même dire que la raison peut très bien servir de mauvais desseins : c’est la raison technicienne, calculatrice, qui ne s’interroge pas sur les valeurs à poursuivre mais seulement sur les moyens pour parvenir à nos fins (exemple : le progrès technique, souvent aveugle, par exemple le clonage)

On doit même peut-être ne pas se reposer entièrement sur la raison dans l’action, dans la vie en général, ainsi que dans la morale. Trop croire en la toute puissance de la raison, en ce domaine, peut même aboutir à la pire des horreurs, au mal, à l’immoralité. Nous sommes humains, non seulement par notre raison, mais aussi par nos sentiments, notre affectivité, qui doit modérer la raison froide et calculatrice (je pense d’ailleurs au documentaire sur Eichmann). Nous sommes des hommes, pas des dieux !

Hume, Traité de la nature humaine, II, III, 3 : peut-on dire que les passions s'opposent à la raison?
Une passion est une existence primitive, ou, si vous le voulez, un mode primitif d'existence et elle ne contient aucune qualité représentative qui en fasse une copie d'une autre existence ou d'un autre mode. Quand je suis en colère, je suis actuellement dominé par cette passion, et, dans cette émotion, je n'ai pas plus de référence à un autre objet que lorsque je suis assoiffé, malade ou haut de plus de cinq pieds. Il est donc impossible que cette passion puisse être combattue par la vérité ou la raison ou qu'elle puisse les contredire; car la contradiction consiste dans le désaccord des idées, considérées comme des copies, avec les objets qu'elles représentent.
Ce qui peut d'abord se présenter sur ce point, c'est que, puisque rien ne peut être contraire à la vérité ou la raison sinon ce qui s'y rapporte et que, seuls, les jugements de notre entendement s'y rapportent ainsi, il doit en résulter que les passions ne peuvent être contraires à la raison que dans la mesure où elles s'accompagnent d'un jugement ou d'une opinion. Selon ce principe qui est si évident et si naturel, c'est seulement en deux sens qu'une affection peut être appelée déraisonnable. Premièrement, quand une passion, telle que l'espoir ou la crainte, le chagrin ou la joie, le désespoir ou la confiance, se fonde sur la supposition de l'existence d'objets qui, effectivement, n'existent pas. Deuxièmement, quand, pour éveiller une passion, nous choisissons des moyens non pertinents pour obtenir la fin projetée et que nous nous trompons dans notre jugement sur les causes et les effets. Si une passion ne se fonde pas sur une fausse supposition, et si elle ne choisit pas des moyens impropres à atteindre la fin, l'entendement ne peut ni la justifier ni la condamner. Il n'est pas contraire à la raison de préférer la destruction du monde entier à une égratignure de mon doigt. Il n'est pas contraire à la raison que je choisisse de me ruiner complètement pour prévenir le moindre malaise d'un indien ou d'une personne complètement inconnue de soi. (…) Bref, une passion doit s'accompagner de quelque faux jugement, pour être déraisonnable; même alors ce n'est pas, à proprement parler, la passion qui est déraisonnable, c'est le jugement.
(…) Il est (donc) impossible que la raison et la passion puissent jamais s'opposer l'une à l'autre et se disputer le commandement de la volonté et des actes.

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